Goya graveur : ses 5 séries de gravures à l’eau-forte

Francisco de Goya (1746-1828) ne fut pas seulement peintre, il était aussi un expert de la gravure !

Sa technique de prédilection ? L’eau-forte : une cire est appliquée sur une plaque de métal, dans laquelle l’artiste vient gratter son dessin. La plaque est ensuite plongée dans une solution acide, qui va creuser le cuivre (ou le zinc parfois) là où le métal a été exposé par le grattage. La cire est ensuite retirée, puis la plaque encrée. L’encre, très dense, s’installe dans les creux rongés par l’acide, et avant de passer à l’impression, le graveur essuie le métal avec un chiffon pour ne conserver que l’encre des sillons. Goya couplait souvent ce procédé avec d’autres, similaires, comme la pointe sèche, l’aquatinte et le burin pour créer ses illustrations aussi sombres que lumineuses.

Grâce à ces centaines d’estampes, publiées pour la plupart dans des recueils, Goya est un des témoins essentiels de son temps, que ce soit sous l’angle sociologique, politique ou psychologique. C’est d’ailleurs par cet art qu’il connut le succès en France dès le milieu du 19e siècle, inspirant de nombreux artistes à explorer, comme lui, la création par la gravure. DADA vous propose un retour sur quelques-unes de ses images gravées pour mieux comprendre son œuvre et sa vie.

Hommage à Velázquez – 1778-1785

Diégo Velázquez (1599-1660) est sans conteste un des grands peintres espagnols ayant marqué l’histoire, de son pays mais aussi européenne. En 1776, l’écrivain Antonio Ponz commence à publier les Voyages en Espagne, recueils d’images pour faire découvrir et célébrer le pays. C’est à sa demande que Goya, alors en fin d’apprentissage des techniques de gravure, se penche sur l’œuvre du maître. Il choisit de représenter quelques portraits équestres et ces deux chefs-d’œuvre, Les ménines et Sébastien de Morra, ne cherchant pas à copier parfaitement les peintures mais plutôt à reproduire leurs effets de lumière.

Pratique courante à l’époque, la reproduction des œuvres en gravure permettait non seulement de les diffuser à grande échelle sans avoir à déplacer les tableaux, mais aussi de conserver des traces de leur existence dans l’éventualité d’une disparition de l’originale. Ce sont donc d’importants documents pour les historiens de l’art !

Les caprices – 1797-1799

Alors que l’Espagne connaît une courte période prospère sous le règne de Charles III (1759-1788) puis de Charles IV (1788-1808), cette première série de gravures, à l’initiative personnelle de Goya, se concentre sur les vices humains, notamment ceux qui se font en toute intimité. Il présente une étude psychologique d’une population a priori heureuse, dont le faste nourrit des mœurs plus légères.

Vous reconnaitrez peut-être dans une de ces deux gravures une préfiguration des Vieilles (1808-1812), peinture ornant la quatrième de couverture de notre revue consacrée à l’artiste. Une vanité dans la recherche de la beauté éternelle qui avait déjà saisi l’œil du peintre 10 ans plus tôt. Les jeunes ne sont pas en reste, avec ce drôle de pied de nez à la tendance des « coquettes », ces jeunes filles à la pointe de la mode. Goya dresse ici une satire de leur bon sens, asiento signifiant aussi bien « assis » que « censé » en espagnol. Avec leur chaise sur la tête, il semble que ces deux femmes ne soient, du point de vue de l’artiste, ni bien assises, ni bien censées.

Les images parfois très crues du recueil publié en 1799 feront rapidement scandale malgré leur succès, et à la veille de la guerre, Goya préféra les retirer de la vente pour ne pas risquer des représailles de l’Inquisition.

Les désastres de la guerre – 1810-1815

À partir de 1808, la population madrilène d’abord, puis toute l’Espagne, se révolte contre l’ingérence de troupes françaises menées par Napoléon Bonaparte qui a installé son frère sur le trône. De nombreux affrontements sordides entre soldats et civil·e·s, hommes comme femmes, vont causer des pertes aussi bien dans la population locale que l’armée napoléonienne.

Goya, pourtant mandaté par un général espagnol pour documenter la guerre, en est traumatisé. Il commence sa série de gravures en 1810, dont le recueil, critique affirmée des atrocités, ne sera publié qu’après sa mort. Nous vous épargnerons les images les plus dures, dont la violence extrême pourrait bien avoir été en deçà de la réalité.

Dans cette première estampe, nous voyons une femme allumer un canon, mettre le feu à la révolte. Il s’agit d’Agustina de Aragon, une simple citoyenne qui prit les armes pour défendre son pays lors du tout premier siège de Saragosse, ville d’origine de Goya. Une œuvre aussi tragique que glorieuse que l’artiste nomme sans ambiguïté « quel courage ! ». Un courage saucissonné et mis au pilori dans cette autre gravure, préfigurant la terrible exécution de El tres de mayo (1814), le grand chef-d’œuvre peint de l’artiste.

Tout porte à croire que ces visions cauchemardesques ont alimenté un penchant vers le morbide qui se retrouvera dans le reste de son œuvre, déjà particulièrement nourrie par le fantastique.

La tauromachie – 1814-1816

La corrida est, depuis le début 18e siècle, un des sports favoris de la population espagnole, bien qu’interdit par décret royal en 1804. De nombreuses séries d’images rapportant les démonstrations de force des toreros et matadors virent le jour avant que Goya s’y essaye. Le succès de ces loisirs populaires fut pour le peintre un gage de revenus faciles, alors que les commandes de peintures se faisaient rares.

Dans cette scène inondée de lumière, Goya immortalise le moment suspendu avant que l’acrobate, un célèbre torero nommé Martincho, ne fasse un saut périlleux pour se retrouver sur le dos du taureau. Jeu dangereux, il n’en attire pas moins les foules, dépeintes dans cette bande saturée de traits vifs et noirs en fond. Voilà une arène visiblement « noire de monde ». D’abord à Saragosse, dans la seconde gravure nous voilà à Madrid, au milieu d’estrades légèrement plus vides. Il faut dire que les accidents étaient monnaies courantes, et ici ce ne sont pas les participants mais le public qui s’attire les foudres de la bête. 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il ne s’agit à aucun moment pour Goya de dénoncer ces évènements, au contraire. Son recueil participe plutôt d’une écriture visuelle de l’histoire de la tauromachie, représentant un certain nombre d’évènements réels.

Les disparates – 1816-1823

Voici la dernière véritable série gravée du peintre. À la fois témoin de sa maturité technique, avec un trait beaucoup plus défini, elle montre aussi la fusion de ses thématiques favorites, entre fantastique, horreur et critique sociétale. Symboliquement risquée sous le règne répressif de Ferdinand VII (1814-1833), Goya n’en publia jamais le recueil, qui fut même trouvé par hasard lors d’un inventaire de son atelier après son décès.

Qui, dans cette grande figure spectrale et drapée, ne voit pas une représentation de la Mort ? La faute à des centenaires d’imagerie populaire, que ces soldats terrorisés doivent eux aussi bien connaître. Une composition sombre, désolée, voire écrasante, où les hommes ont l’air tout petits face à ce spectre de la Nature. Dans l’autre gravure, un griffon – créature surnaturelle – se détache du ciel noir, portant sur son dos un homme retenant une femme semblant se débattre. Qui alors est le véritable monstre ?

Cette série, la plus énigmatique de l’artiste, a inspiré de nombreux commentaires littéraires et érudits. Hormis quelques légendes, Goya ne nous a rien laissé de concret pour appréhender cette œuvre. Le mystère demeure donc entier, et ouvert à toute interprétation…

couv GOYA

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Écrit par Pauline ILLA - Voir tous ses articles