5 photographies de mode en noir et blanc

Alors que l’illustration de mode quitte lentement les éditions des grands magazines, ces derniers accueillent la photographie à bras ouverts à partir des années 1930, grâce notamment aux appareils photographiques portables. Après la Seconde Guerre mondiale, les bibles comme Vogue ou Harper’s Bazaar vont ainsi profiter du média qui permettra de définir plus clairement les tendances mensuelles du monde de la mode. 

La photographie de mode a, dans son essence même, une dimension mercantile et commerciale. Mais certains de ses innombrables représentants ont réussi à y insuffler un véritable sens artistique, tout en donnant une nouvelle définition aux termes de modèle et de mannequin. La photographie demeure nécessaire au domaine de la mode, que cela soit au service de la haute couture ou du prêt-à-porter, autant en magazines qu’en campagnes publicitaires. 

D’abord simple contrainte technique, le noir et blanc est ensuite utilisé en photographie comme un parti pris esthétique. Des portraits aux natures mortes en passant par des mises scènes spectaculaires : la mode a gagné un langage propre grâce à la photographie au cours du 20e siècle, et atteint un paroxysme créatif à l’heure actuelle. 

Découvrez 5 photographies de mode iconiques en noir et blanc

Helmut Newton – Le Smoking (1975) 

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Helmut Newton, Le Smoking, 1975

Scandale dans les rues de Paris ! Une femme en smoking ?

Chef d’œuvre du photographe de mode australien Helmut Newton, Le Smoking (1975) est un portrait sulfureux de l’émancipation féminine et de la révolution sexuelle des années 1970. Monument de la photographie certes, mais également pièce maîtresse de mode. On doit ce smoking au créateur français Yves Saint-Laurent. 

Bien que le costume de soirée pour femme se soit ancré dans l’imaginaire collectif, et le vestiaire féminin, depuis longtemps à présent, il ne l’a pas toujours été. Le couturier de légende a été un point de bascule pour sa création, puis sa popularisation. Après Marlene Dietrich, c’est au tour de Catherine Deneuve, de Charlotte Rampling et de Betty Catroux d’arborer le smoking signé YSL. 

Prise au détour de la rue Aubriot, l’image nous plonge dans une atmosphère nocturne parisienne où une figure androgyne nonchalante apparaît tenant une cigarette à la main. L’éclairage participe à flouter les limites du genre, et renforce la mâchoire et l’aspect masculin du mannequin Vibeke Knudsen.

Newton pousse les limites du genre à son paroxysme avec une autre photographie, moins connue, issue du même shooting. Le modèle est accompagné cette fois-ci d’une femme nue, qui s’insère dans la scène de manière complétement incongrue. Les deux femmes sont rapprochées et s’échangent un baiser. 

Sommes-nous les voyeurs d’une séduction charnelle ? Une part d’imagination est laissée au spectateur. Le photographe crée ici une image à la dimension saphique, non sans une touche de fantasme et de male gaze

Peter Lindbergh – Couverture du British Vogue (1990) 

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Peter Lindbergh pour British Vogue, 1990

D’origine allemande, Peter Lindbergh demeure l’un des photographes les plus influents et prolifique de l’histoire de la mode contemporaine. L’as de l’objectif proposait une imagerie ultra épurée en noir et blanc : il cherchait la vérité, le naturel et évitait tout artifice vain.

Il a également participé à la naissance des supermodels. Elles s’appellent Naomi Campbell, Tatjana Patitz, Linda Evangelista, Christy Turlington et Cindy Crawford : 5 des supermodels originelles que saisit ici le photographe légendaire. 

Devenant plus connues que les créateurs pour lesquels elles défilent, ces mannequins stars et leur beauté ont incarné les visages des années 1980 et 1990. Publié en couverture du British Vogue de janvier 1990 par Liz Tilberis, ancienne rédactrice en chef du magazine, ce choix éditorial donne le ton pour la décennie à venir et affirme l’ère des supermodels.

L’image et le style de Lindbergh entrent en complète contradiction avec leur temps : les tenues et coiffures sont simples, elles sont peu maquillées et leurs poses sont naturelles et détendues. On s’éloigne des extravagances stylistiques de la décennie précédente. Un sentiment doux de cohésion et d’amitié se ressent dans l’image prise dans les rues de New York. 

Les photos de mode de Lindbergh plaisent aux couturiers contemporains (John Galliano, Rei Kawakubo ou encore Azzedine Alaïa), qui y voient un moyen de montrer de manière à la fois crue et délicate leurs créations ; et sont adoptées par les magazines de mode, qui apprécient l’aspect naturel des modèles.

Dora Maar – Femme-Étoile (1936)

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Dora Maar, Femme-Étoile, 1936

Artiste surréaliste de génie, Dora Maar a saisi avec son objectif l’étrange et l’insolite comme nul autre. Installée à Buenos Aires avec sa famille depuis 1910, elle rejoint la capitale française en 1926 où elle démarre une formation en arts décoratifs et en photographie, puis intègre les Beaux-Arts.

Maar entre rapidement en contact avec de grandes personnalités de la scène artistique parisienne et se forge un nom dans un milieu d’hommes, qui ne laisse de la place qu’aux muses. Elle croise notamment sur son chemin Henri Cartier-Bresson, Brassaï, Man Ray avec qui elle travaille, et bien sûr Pablo Picasso, avec qui elle entretient une relation tumultueuse et toxique qui la marquera profondément.

Engagée politiquement et fervente antifasciste, son travail de photomontage séduit les surréalistes et elle devient une des rares membres féminines reconnue par le groupe. Dora Maar, c’est un œil et une créativité hors norme, qui se sont illustrés aussi bien dans ses photographies surréalistes, que celles de rue et, donc, ses photographies de mode.  

Mannequin-Étoile (1936) montre parfaitement l’étendue du talent de Maar. La composition équilibrée de la photographie installe le personnage au centre de l’image. Sa robe drapée, scintillante, est étrangement ceinturée d’une corde et se rapprocherait presque des créations de la couturière surréaliste Elsa Schiaparelli.

Cette figure féminine à tête étoilée n’est pas sans rappeler les jeux autour de l’identité cachée ou perdue, si chers aux surréalistes. S’apprête-t-elle à rejoindre les étoiles en arrière-plan ? Démarre-t-elle une représentation mystique ? L’artiste dénoncerait-elle la condition des mannequins ?

Annie Leibowitz – Kate Moss (1999)

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Annie Leibowitz, Kate Moss, 1999

Élue comme membre associée de l’Académie des Beaux-Arts en 2024, Annie Leibowitz a tiré le portrait de certaines des figures les plus influentes et importantes des 20e et 21e siècles. De la famille Obama à Serena Williams, en passant par Elisabeth II et Leonardo DiCaprio : tous et bien d’autres sont passés et passent encore devant son objectif.

Issue d’une famille modeste du Connecticut, elle démarre sa carrière de photographe sur les chapeaux de roue en accompagnant les Rolling Stones pour leur tournée de 1975. Elle capturera 5 ans plus tard l’un de ses chefs-d’œuvre : le dernier cliché connu de John Lennon avec son épouse Yoko Ono, avant son décès ce jour-là.

Bien que très inspiré par Henri Cartier-Bresson, le travail de Leibowitz laisse peu de place à la spontanéité. En effet, l’éclairage, la mise en scène, le stylisme… rien n’est laissé au hasard par l’artiste américaine. En résultent des images ultra léchées, aux allures d’œuvres quasi-baroques, avec une dimension glamour forte qui séduisent encore à l’heure actuelle les magazines tels que Vogue ou Vanity Fair.

Ce portrait du supermodel Kate Moss dénote de l’œuvre de Leibowitz, et rappellerait presque le travail de Peter Lindbergh. La mannequin anglaise apparaît avec peu de maquillage et porte sur ce portrait une parure de bijoux Dior, signée John Galliano. Provenant du défile haute couture 1999, cette pièce de tête massive est à la fois d’inspiration ethnique et historique. Le regard de celle que l’on appelle « la Brindille » nous transpercerait presque tant il nous envoute.  

Richard Avedon – Dovima with elephants (1955)

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Richard Avedon, Dovima with elephants, 1955

Ancré dans l’histoire de la photographie, l’iconique Richard Avedon a marqué de son empreinte le domaine au cours de sa carrière, et reste une des grandes influences et références pour les photographes de mode.

Artiste polyvalent, son œuvre est à la fois politique – avec par exemple sa série In the American West (1979-1984), qui tire un portrait juste et dur de l’ouest américain – et glamour, ayant collaboré avec des magazines tels que Harper’s Bazaar et Vogue

Derrière l’objectif d’Avedon, un changement net apparaît. Finis les modèles stoïques : le photographe américain laisse place à l’expressivité, à l’attitude, au dynamisme et à l’art de poser. Il est surtout reconnu pour ses portraits, notamment pour avoir capturé celui de Marylin Monroe et celui du mannequin anglais Twiggy à maintes reprises. 

Dovima with elephants (1955) fait partie des nombreuses œuvres maîtresses du photographe. Prise au Cirque d’Hiver de Paris, l’œuvre est également un grand moment de mode. En effet, la robe du soir portée par le modèle a été réalisée par un certain Yves Saint-Laurent, assistant de M. Christian Dior, alors qu’il n’a que 19 ans.

L’image montre la mannequin posant entre deux pachydermes en mouvement. Sa posture et ses bras ondulés imitent les courbes des deux éléphants et prolongent la trompe de celui de gauche. La proximité et la sérénité de Dovima avec les deux mammifères géants donneraient presque l’impression que celle-ci les dompte. Luxe, richesse, nature et sauvage cohabitent ici.

Publiée dans le numéro de septembre 1955 de Harper’s Bazaar, sa composition quasi-parfaite et son originalité a fait de l’œuvre l’une des photographies de mode les plus chères de l’histoire (vendue en 2010 pour 1,2 millions de dollars chez Christie’s).


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Écrit par Emile Guyomard - Voir tous ses articles