Les 5 pharaons noirs d’Égypte et de Nubie

Il y a 200 ans, Champollion déchiffrait les hiéroglyphes. De nombreuses expositions sont pour l’occasion consacrées cette année à l’Égypte antique, au Louvre, au Musée Rodin, au Mucem à Marseille, à Figeac, au Louvre Lens Mais au-delà de quelques figures mythiques, bien d’autres destins passionnants restent à découvrir. Nubie, Kouch, Soudan… trois appellations pour une même histoire : celle des pharaons noirs d’Égypte ! Dans la continuité de notre numéro sur L’art des pharaons, DADA part à la découverte de ces personnalités méconnues.

Vous avez sûrement déjà entendu parler de la « Nubie » ? C’est le nom que l’on donne communément au royaume situé au sud de l’Égypte durant l’Antiquité, dans la continuité du Nil. En réalité, cette appellation est moderne, apparue lors des grandes expéditions archéologiques du début du 19e siècle. Elle désigne en fait un pays encore bien existant : le Soudan, qui à l’époque pharaonique s’appelait le « pays de Kouch ».

Cette entité, longtemps indépendante de l’Égypte pharaonique, fut peu à peu colonisée entre 1540 et 1075 avant J.-C. C’est notamment Ramsès II (1304-1213) qui y fit construire de nombreux temples en son honneur, installant solidement la domination égyptienne sur le territoire. Les Kouchites (habitants de Kouch), reconnaissant la légitimité du pharaon basé à Memphis (ou parfois à Thèbes), gardèrent cependant à leur tête leur propre lignée royale, basée à Napata.

Dans la seconde moitié du 8e siècle, la dynastie des Ramsès s’essouffla, chaque successeur s’avérant plus faible que le précédent, peut-être à cause des (trop ?) fréquents mariages incestueux. Le roi napatéen Piânkhy (ou Piyé) saisit l’occasion pour s’emparer du trône de Memphis et se proclamer « souverain des deux terres ». Son règne fut cependant de courte durée, et ce sont ses successeurs Chabataka (ou Chabataqa), Chabaka (ou Chabaqa) et Taharqa qui installèrent la domination kouchite sur toute la vallée du Nil pendant plus d’un demi-siècle, formant ensemble la 25e dynastie.

Piânkhy (vers 747-716)

L’histoire de la 25e dynastie nous est arrivée principalement du prêtre égyptien Manéthon de Sebennytos, qui écrit au 3e siècle de notre ère l’Histoire de l’Égypte. Mais il n’y inclut pas Piânkhy, qui en est pourtant le fondateur. Pourquoi ? Car ce dernier ne régna que très peu de temps à Memphis, ce qui ne suffit pas à affirmer sa domination sur tout le territoire. C’est pourtant à lui que l’on doit cette percée kouchite en Égypte et finalement la prise du trône.

Cette histoire est notamment racontée par une stèle triomphale retrouvée au Grand Temple d’Amon à Djébal Barka, la montagne la plus sacrée du royaume napatéen. Ces soixante lignes de hiéroglyphes célèbrent la conquête du roi, depuis sa capitale Napata, de tous les sièges de puissance de l’Égypte pharaonique, comme Thèbes, Hermopolis, Héracléopolis et bien sûr Memphis. Voici donc un fin stratège, qui sut profiter avec brio du morcèlement du pouvoir pharaonique !

Comme les pharaons avant lui, il légitima son pouvoir en se liant au panthéon égyptien. Il serait donc le fils de Rê, le dieu du soleil et plus largement de la vie, et tiendrait son pouvoir d’Amon, le dieu « caché », qui est comme une force invisible dont la représentation est impossible. C’est pour cela que l’on retrouve son nom régulièrement attaché à celui de Rê, formant ainsi la divinité Amon-Rê. C’est aussi le culte principal du pays de Kouch et de cette 25e dynastie. Son attribut est le cobra, qui orne donc bien souvent les coiffes des pharaons. Il ne nous reste malheureusement pas de représentations de Piânkhy en assez bon état pour être identifiables.

Chabataka (713-705)

Chabataka (longtemps confondu avec Chabaka que nous verrons ensuite) n’était pas le fils de Piânkhy, mais l’époux de sa fille ainée Chépénoupet II, ainsi que… son frère ! Voilà une drôle de tradition bien similaire à celle de l’Égypte antique. C’est donc par sa compagne qu’il obtint la couronne pharaonique, ainsi que par son père, le roi napatéen Kachta, qui régna avant Piânkhy. Vous êtes un peu perdu ? Nous aussi ! Ce qu’il faut retenir, c’est que si les lignées royales se font bien par le sang, elles ne se font pas forcément par la filiation directe, contrairement aux traditions européennes par exemple.

C’est en tout cas le premier kouchite reconnu « pharaon des deux terres » par Manéthon, et aussi par de nombreux monuments qui lui sont dédiés. Il se présenta comme Sabakos (ou Sabakon), littéralement « fils de Chaba », une divinité non pas égyptienne mais napatéenne. Installé à Memphis, son règne fut bref et marqué de conflits. Il connut d’ailleurs une fin particulièrement tragique : il fut brûlé vif, peut-être même sous les ordres de son successeur.

Il aura tout de même le temps de faire ériger quelques œuvres à son effigie, comme dans le temple de Karnak, où se trouvait ce bandeau représentant le pharaon (à droite) en train de faire une offrande à Amon-Rê (au centre), lui-même accompagné de la déesse-mère Mout. Chabataka présentait déjà l’iconographie qui deviendra celle des pharaons nubiens : le double uræus (cobra) qui incarne la double couronne d’Égypte et de Kouch ; la coiffe basse dont tombent deux rubans ramenés sur la nuque ; et le signe du bélier (ici sur l’oreille), animal considéré comme l’incarnation terrestre d’Amon. Son visage rond, plus qu’une représentation réaliste, semble être un choix stylistique emprunté aux plus anciennes dynasties, notamment la 4e et la 5e, que reprendront également ses successeurs.

Chabaka (705-690)

Chabaka était-il un héritier légitime ou un usurpateur ? Les sources divergent, et nous ne nous prétendons pas capables de trancher. Il garda tout de même le pouvoir une quinzaine d’années, ce qui est presque le double de son prédécesseur et indique un règne un tout petit peu plus solide. Cela lui laissa le temps d’installer sa présence dans les temples de Thèbes et de Memphis, et d’affirmer ainsi la domination kouchite.

Les représentations qui lui sont attribuées sont aussi plus nombreuses. Dans cette statuette, conservée au musée archéologique d’Athènes, on le trouve agenouillé dans une position qui semble être en prière. Il est fort probable qu’il servait de socle à un grand objet votif, comme un pilier ou un vase. Son corps présente une musculature fine et des lignes volontairement simplifiées. Ses pieds nus et son pagne semblent démontrer une certaine modestie, mais les deux cobras sur sa coiffe confirment son identité de pharaon. Comme Chabataka, il arbore le motif du bélier, mais cette fois-ci à son cou. Pas de doute, il se place sous la protection d’Amon ! Regardez également cette pièce de faïence, où la rondeur du visage est rendue de manière affirmée : ce roi apparaît bien sympathique, non ?

Cette tête de colosse serait aussi à l’effigie de Chabaka. Ne remarquez-vous pas quelques différences ? Elles sont mêmes nombreuses : le visage est affiné au niveau des joues, et la coiffe est celle des pharaons égyptiens. Il s’agit bien d’une représentation de Chabaka, car son nom y est inscrit. Mais celle-ci a été volontairement endommagée, le nom rayé, et les deux uræus rassemblés en un. Voilà un témoignage précieux sur plusieurs aspects. Le premier est la dualité des choix iconographiques des pharaons nubiens, qui mêlent les traditions kouchites et égyptiennes et se représentent librement dans l’une ou dans l’autre. Le second rappelle qu’on a voulu effacer de l’histoire la domination kouchite – et noire ? – de l’Égypte pharaonique. Des destructions qui, pour la plupart, eurent lieu dans les siècles suivant la chute de la 25e dynastie…

Taharqa (690-664)

Taharqa eut le règne le plus long, et fit ainsi figure de proue de la 25e dynastie, qui s’acheva avec son bref successeur, Tanouétamani. Il était le fils de Piânkhy, alors enfin en âge de prendre le trône. Son règne ne fut pas de tout repos ! Des guerres incessantes le rythmèrent, externes avec l’Assyrie qui tentait de renverser Memphis, et internes avec les membres de sa famille. Il dut d’ailleurs fuir à deux reprises le trône égyptien ! La seconde fois, il ne put y revenir et termina sa vie à Napata. À l’image de Ramsès II, il fut aussi un pharaon bâtisseur. Il fit ériger de nombreux temples au pays de Kouch, n’hésitant pas à démarcher des artisans égyptiens. Il étendit ainsi sa présence spirituelle sur les deux territoires, et bien sûr le culte de sa personne.

Le voici sous la forme d’un sphinx, la plus célèbre chimère du monde antique. On reconnaît sur son front le double uræus qui vous est maintenant bien familier. Sa coiffe, qui se confond avec la crinière de la bête, semble plus près de la tradition égyptienne que nubienne, encadrant sa tête de chaque côté. Le visage rond et les traits volontairement simplifiés du corps rappellent le style kouchite qui s’était établit depuis Chabataka.

Sur ce bas-relief du temple qu’il a fait ériger à Kawa, Taharqa se représente à la manière de ses prédécesseurs égyptiens, de profil, faisant une offrande à Amon, se mettant ainsi sous sa protection. Une transmission renforcée dans ce contrepoids de collier qui le dépeint en train de se nourrir au sein de la déesse Hathor, mère du dieu faucon Horus auquel les pharaons se sont souvent fait l’égal, voire l’incarnation. Voilà un roi kouchite dans tout ce qu’il a de plus égyptien, qui aura su marquer son passage avec virtuosité.

Tanouétamani (664-656)

Fils de Chabaka, il hérita d’un royaume instable en proie aux assauts des Assyriens. Il parvint à reprendre Memphis quelques temps avant d’en être chassé par le grand sac de la ville. Il s’installa ensuite à Thèbes, qu’il dut quitter définitivement au début de l’année 663. Un règne sur les « deux terres » donc très bref, qui n’aura pas donné lieu à une véritable affirmation de son pouvoir pharaonique. Il se retrouva exclu de fait de la 25e dynastie racontée par Manéthon, bien qu’il en fût en réalité le dernier membre.

Le voici sur une fresque de sa tombe à El-Kourrou, accompagné à son caveau par les fils d’Horus. On reconnaît la coiffe kouchite, plate et rabattue sur la nuque, ainsi que l’uræus double que l’on voit ici de profil.

Si nous disons adieu à la 25e dynastie, l’épopée napatéenne ne s’arrêta pas là, et les échanges culturels et politiques entre Kouch et l’Égypte perdurèrent pendant des siècles. Nous vous invitons à découvrir tout cela dans l’impressionnante exposition du musée du Louvre, « Pharaon des deux terres, l’épopée africaine des rois de Napata », visible jusqu’au 25 juillet.

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Écrit par Pauline ILLA - Voir tous ses articles