5 minutes pour découvrir Vivian Maier

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Maîtresse de la photographie de rue, on la compte aujourd’hui parmi les géants. Vivian Maier est la plus célèbre des photographes amateurs. Pourtant, ce n’est qu’après sa mort que son œuvre a été découverte et appréciée à sa juste valeur. Des dizaines de milliers de clichés, bien souvent saisis sur le vif dans la rue, qui nous racontent l’Amérique des années 1950 à 2000, sa grandeur tout autant que ses laissés-pour-compte. Ces photos témoignent d’un véritable sens de la composition et du détail, de l’humour comme du tragique. Fine observatrice de l’être humain, Vivian Maier sait capturer « l’instant décisif » qui fait de la photo un art. Découvrez en 5 minutes cette grande dame photographe de l’ombre !

Qui est la photographe Vivian Maier ?

Vivian Maier est née en 1926 à New York, d’une mère française et d’un père autrichien. Elle vit une enfance difficile, et rentre en France en 1932 à la séparation de ses parents. Très jeune, elle multiplie les petits emplois, et retourne à New York en 1951 où elle devient gouvernante. Elle le restera jusqu’à la fin de sa vie. Faiblement rémunéré, ce métier a néanmoins l’avantage de lui permettre d’être à l’air libre toute la journée.

Maier commence alors à prendre des photos, d’abord en noir et blanc. Son terrain de prédilection est la rue ; les anonymes sont ceux qu’elle a le plus photographiés. Elle est le témoin des invisibles, des gens du peuple, partout où elle se rend. Elle expérimente les pellicules couleurs dès le début des années 1950, ce qui fait d’elle une des pionnières du genre.

Maier a changé plusieurs fois d’appareil, mais une grande partie de son œuvre a été prise avec un Rolleiflex, muni d’un viseur sur le haut : avec ce modèle, il suffit de baisser les yeux pour cadrer. C’est beaucoup plus discret que de mettre un appareil devant son visage !

Après la photo de rue, l’artiste immortalise la campagne française à partir de 1951, avant de s’installer à Chicago en 1956. À la fin des années 1950, elle obtient plusieurs mois de congés et voyage autour du monde : Canada, Amérique du Sud, Asie, Moyen Orient, Caraïbes… Des périples qu’elle entreprend toujours en solitaire. Elle en ramènera de nombreux négatifs. 

Or la plupart de ses clichés n’ont pas été développés : de son vivant, Vivian Maier ne réussit pas à percer dans le petit monde de la photographie. La photographe de génie s‘éteint donc dans l’anonymat et la pauvreté en 2009.

Vivian Maier, un succès posthume

Artiste prolifique, Maier a pourtant tout gardé pour elle. La plupart des clichés que nous pouvons contempler aujourd’hui ont été développés après sa mort. Secrète, même ses voisins ne connaissaient pas son nom. Ses employeurs ne savaient rien de sa passion. Comment a-t-elle donc acquis la notoriété qu’on lui connait aujourd’hui ?

C’est l’agent immobilier John Maloof qui, en 2007, achète lors d’une vente aux enchères un carton de vieilles photos pour illustrer un livre sur son quartier. N’ayant que le nom de la photographe, il remonte sa piste et en 2009 accède à son garde-meubles. Il y découvre une quantité d’objets accumulés au cours de sa vie, dont les journaux qu’elle parcourait à la recherche des faits divers, d’actualités politique et sociale. Mais surtout, il obtient 2000 rouleaux de pellicule photo : plus de 15 000 clichés qui n’attendent qu’à être développés ! Seulement aucun musée ne veut exposer une parfaite inconnue.

John Maloof organise alors une exposition rétrospective d’une centaine de photos, à Chicago, en 2011. Celle-ci connaît un succès retentissant, et sera suivi de plusieurs autres, itinérantes. Aujourd’hui, Vivian Maier est reconnue en tant qu’artiste et fait partie des plus grands photographes.

Le sens du détail de Vivian Maier

Moderne, voire avant-gardiste, Maier est capable d’une esthétique très poussée. Douée d’un remarquable sens de la composition, de la couleur et du cadrage, elle joue avec les figures comme un écrivain avec les mots. Elle expérimente dans certains de ses clichés le cinétisme, une forme d’art qui consiste à créer des illusions d’optique, notamment grâce à des jeux de lumière et de formes. Ainsi, l’artiste révèle le sublime du moindre coin de rue.

Maier se démarque aussi par sa passion du détail, sur lequel elle aime à attirer l’attention grâce à des cadrages serrés. En décadrant ses photos pour zoomer sur un élément précis, elle en fait un morceau de poésie. Ce sont des détails du corps humains, mais aussi des objets – bouteilles, journaux, vêtements, poubelles, etc. –, qu’elle met ainsi en valeur. Parfois abandonnés au détour d’une rue, ils deviennent sujets à part entière, parlent d’une époque, d’un ressenti… Sur bien des points, on peut rapprocher Maier du courant de la « photographie humaniste » dont l’âge d’or se situe entre 1930 et 1950.

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Les grands thèmes de Vivian Maier

Autoportraits

Vivian Maier a laissé derrière elle des dizaines d’autoportraits, qu’elle prend tout au long de sa vie. Elle est un modèle constamment disponible : elle peut se prendre en photo dans le reflet d’une vitre, dans la vitrine d’un magasin, dans l’enjoliveur d’une roue… Elle est son propre personnage, et s’amuse avec les échelles, les déformations, les décors insolites. Il lui arrive souvent de photographier son ombre, reconnaissable par son chapeau, une robe et ses bras repliés sur son appareil.

Se prendre en photo est aussi une manière d’observer le temps qui passe. Ainsi l’artiste enregistre son quotidien, même les moments les plus ordinaires. Pour Maier, la photographie est devenue un réflexe, un mode de vie.

Vivian Meyer, Autoportrait, New York, 1953

Cet autoportrait semble particulièrement résonner avec la vie de l’artiste. Lors d’une promenade, Maier se photographie cette fois avec l’enfant qu’elle garde. La petite fille prend son rôle de modèle au sérieux en regardant fièrement son reflet. On peut aussi y voir un double de la photographe, la fillette déterminée qu’elle a été.

Dans le miroir, on ne distingue pas le bas de leur corps ; et pourtant on a l’impression de les voir presque entièrement grâce à leur ombre qui se projette sur la surface métallique ! Le cadrage très droit fait écho au bâtiment rectangulaire derrière elles et aux formes anguleuses de son appareil photo. En arrière-plan, la rue chère à Maier, typique des années 1950. Vivian Maier capte ici un nouvel instant de vie fugace, tout en conservant cette posture sobre et un peu mystérieuse, devenue depuis sa marque de fabrique.

Enfants

Maier a photographié des milliers d’enfants durant sa carrière : ceux qu’elle gardait mais aussi ceux qu’elle croisait par hasard. Elle arpente les rues à la recherche d’instants à immortaliser, de scènes prises sur le vif. Des fragments de vie d’enfants de tout âge et de tout milieu. Dans les rues, au détour d’une plage ou d’un musée, elle a capturé leur quotidien, simple, touchant et parfois difficile.

Vivian Maier, Chicago, date inconnue

Avec ce double portrait pris à Chicago pris à Chicago, Maier capte magnifiquement les émotions sur les visages des deux enfants. Le plus jeune au premier plan semble à la fois surpris et émerveillé par la présence de la photographe, tandis que le second regarde fièrement l’objectif. Pour intensifier ces émotions, la photographe joue avec les effets de flou : plus on s’éloigne du premier plan, plus le décor devient indistinct. Seule compte l’expressivité des enfants. On peut supposer qu’ils se rendent à une fête costumée : le plus âgé porte un chapeau de cow-boy, l’autre les oreilles du personnage de Mickey : deux déguisement symboles des États-Unis !

Le rêve américain ?

La ville et ses habitants semblent fasciner Maier. Elle a abondamment photographié l’architecture de New York et Chicago, captant près de 40 ans l’évolution des deux grandes mégalopoles américaines. New York notamment est la porte d’entrée pour les migrants qui débarquent aux États-Unis. La ville se métamorphose radicalement dans les années 1950. Maier la montre comme elle est : une ville de contrastes, un patchwork de misère et de richesse. Elle photographie toute la société, des plus pauvres aux plus riches.

Le résultat révèle que le rêve américain peut aussi tourner au cauchemar. Son œuvre témoigne de la vie difficile des plus pauvres, et de la violence quotidienne dans les rues américaines. Maier capture également de durs clichés qui représentent la lutte des classes et la discrimination des noirs américains, qui fait rage aux États-Unis. Son travail est riche de contrastes et d’ambiguïtés, tout comme cette Amérique aux multiples visages.

Vivian Maier, New York, 1953

Dans ce cliché de 1953 pris à New York, toute la partie droite de l’arrière-plan est occupée par un chapelet d’immeubles. Ce sont des gratte-ciels, ces édifices qui se lancent à l’assaut des nuages. Le plus connu, l’Empire State Building, est là, coiffé de son antenne. Aux alentours, le reste de la cité, verticale, semble tracée au cordeau.

Tout n’est que lignes droites et longues échappées vers l’infini. Un effet renforcé par le cadrage du cliché : Maier s’est installée à côté des rails du métro, qui passent à droite du paysage avant de filer au loin. Placée en hauteur, la photographe domine ici la rue, et les passants se transforment en fourmis. Mais ce sont bien ces fourmis qui font vivre cette ville géante !

Où voir les œuvres de Vivian Maier

Le vaste ensemble des clichés de Vivian Maier est réunie dans la collection John Maloof, en charge de promouvoir l’œuvre de l’artiste, en collaboration avec la Howard Greenberg Gallery située à New York.

En France, l’Association Vivian Maier et le Champsaur s’applique également à valoriser ce patrimoine. Ainsi, des expositions sont organisées périodiquement : en 2021 et 2022, Vivian Maier était mise à l’honneur au Musée du Luxembourg. Il faudra ouvrir l’œil pour espérer avoir l’occasion de voir en vrai les photographies de cette mystérieuse artiste ! 

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Vous souhaitez en savoir plus sur Vivian Maier et l’étendue de son œuvre photographique ?

Écrit par Candice Belly - Voir tous ses articles