Hiroshige… Ukiyo-e… kézako ? En japonais, Ukiyo-e signifie « image du monde flottant ». Au 18e siècle, les artistes japonais se mettent à représenter le monde tel qu’ils le voient : toujours en mouvement. Ils dessinent les courtisanes, les acteurs de théâtre, les samouraïs puis, peu à peu, les paysages.
Par la technique de l’estampe, il leur est désormais possible de reproduire leurs œuvres facilement, permettant ainsi au plus grand nombre de contempler ces instantanés de la vie japonaise. Ils ont d’ailleurs été une grande source d’inspiration pour les impressionnistes, tels que Claude Monet ou Vincent Van Gogh.
Dans l’Averse soudaine sur le pont Ohashi à Atake, tirée de la série Cent vues d’Edo, le célèbre dessinateur et peintre Utagawa Hiroshige nous emmène dans la vie de la capitale… ou plutôt nous y plonge ! Vite, tous à l’abri : une averse s’abat sur Edo, mais nulle part où s’abriter au beau milieu de ce pont. Hiroshige expose là tous les secrets de l’ukiyo-e.
Hiroshige, ou le reporteur en série
L’art de l’ukiyo-e repose sur des sujets populaires, tirés du quotidien. Dans L’Averse, Hiroshige ne déroge pas à la règle. On voit un homme sur un radeau, et quelques figures qui se pressent sur un pont en s’abritant de la pluie. La scène se passe à Edo, l’actuelle Tôkyô.
Sous les chapeaux et les parapluies, on n’aperçoit aucun des visages. Toutes ces minuscules figures resteront anonymes. C’est ce qui permet à Hiroshige de se concentrer sur cette tranche de vie. Aucun personnage ne sort du lot, c’est l’ensemble de la scène qui compte. Comme ses camarades, Hiroshige ne fait pas les choses à moitié : il travaille par séries.
Il réalise des dizaines, parfois des centaines de vues d’un même sujet. Il cherche ainsi à représenter avec justesse tous les aspects de la vie d’une ville, ou toutes les facettes d’une région. Bien avant l’invention de la photographie, les Japonais se lancent ainsi dans le reportage illustré !
L’art de capter l’instant décisif
Pour ces reportages, Hiroshige et ses disciples se concentrent surtout sur les vues enchanteresses du Japon. Ils vont faire du paysage leur priorité. Très humblement, Hiroshige met son art au service de la nature. Son objectif : faire partager les émotions qu’il ressent devant un paysage, capter un moment fugace que, sans lui, on pourrait ne pas avoir remarqué.
Il s’intéresse donc beaucoup aux saisons, aux caprices du temps, aux nuages et aux brumes. Ici, le sujet principal de l’estampe, ce n’est pas le pont, c’est la pluie. Il n’y a qu’à regarder le titre : L’Averse. Les nuages noirs dans un ciel gris qui déversent une pluie drue sur la ville d’Edo, on appelle cela un effet atmosphérique.
Placer la nature et ses variations au cœur de l’œuvre, voilà quelque chose que les artistes occidentaux ne connaissaient pas. C’est justement cette approche si unique du paysage, tout en finesse et en respect, qui influencera les impressionnistes.
Une impression de douceur…
Pour rendre hommage à la nature, Hiroshige se concentre sur l’essentiel et abandonne tous les détails superflus. Il utilise quelques moyens simples, mais efficaces : un nombre limité de couleurs pour l’ambiance, et quelques lignes bien placées pour situer la scène dans l’espace. Ici, deux diagonales se croisent, mais hors du cadre : la ligne du pont et celle de la rive au fond.
Il n’y a que les pieds du pont pour donner un peu de verticalité à l’ensemble. Quant aux lignes parallèles de la pluie, elles apportent un léger mouvement. Même économie dans les couleurs : un peu de bleu, un peu de gris, et uniquement le pont pour trancher. Comme toujours dans l’ukiyo-e, Hiroshige réalise avec peu de moyens une œuvre toute en retenue et en poésie, typiquement japonaise. Quel calme dans cette averse, comme si la pluie avait atténué tous les bruits.
Émilie Martin-Neute
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