5 artistes français du Pop Art

Né d’abord en Angleterre dans les années 1950, puis développé aux États-Unis, le Pop Art, raccourci de Popular Art, est un mouvement artistique que l’on connaît pour ses œuvres colorées à l’iconographie purement américaine. Des soupes Campbell d’Andy Warhol en passant par les toiles comics de Roy Lichtenstein, les artistes du Pop Art, notamment ses chefs de fil américains, s’approprient la culture populaire pour délivrer un message anticonformiste sur la société de consommation.

Des principes et un langage visuel forts qui vont très rapidement s’exporter chez nous en France, et ce dès les prémices du mouvement chez nos amis anglosaxons. Alors en pleine période des Trente Glorieuse et d’optimisme d’après-guerre, les Français embrassent une société flambant neuve où émergent une nouvelle culture visuelle et de nouvelles préoccupations sociales. Alors, qu’en est-il du Pop Art français ? 

Des similitudes et divergences entre Pop Art et Nouveau Réalisme

De l’autre côté de l’Atlantique, les Américains sortent grands gagnants de la Seconde Guerre mondiale, mais la confrontation politico-idéologique qui s’abat entre le géant étatsunien et l’URSS vient les fragiliser : on parle d’une guerre froide. Les deux puissances redoublent d’effort, notamment sur le plan culturel, pour surpasser l’adversaire. Du côté culturel, New York s’est par ailleurs enrichie de l’exil de nombreux artistes européens fuyant le fascisme, et incarne une capitale culturelle et artistique mondiale. C’est ici que le mouvement Pop Art s’épanouira.

L’American way of life va rapidement s’immiscer et se diffuser en France. Nos artistes grandissent et évoluent dans ce nouveau modèle de société. En effet, l’idéal du rêve américain règne durant les Trente Glorieuses, la publicité habille les villes et la télévision rejoint les foyers français. Les années 1960 sont, autant en France qu’aux États-Unis, des années de bouleversements sociaux. On assiste à une révolution sexuelle ou encore à des révoltes étudiantes antigaullistes lors des événements de mai 68.

Du côté de l’art, un groupe de jeunes artistes nait en 1960. Rejetant la peinture abstraite de la première moitié du siècle, le groupe du Nouveau Réalisme va faire le choix de s’approprier ce nouveau quotidien. Pierre Restany, co-fondateur du mouvement, écrira que le Nouveau Réalisme faisait du réel un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire ». Ce mouvement artistique s’avoisine avec le Pop Art et est représenté par des artistes tels que Yves Klein, Arman ou Daniel Spoerri. 

Il y a bien un pop art américain et un autre Pop Art, si l’on peut dire, français. Car les sources et les cultures restent différentes.Les artistes pop américains privilégient et magnifient la culture visuelle populaire. En France, on fait le choix de la satire et de la critique certes, mais de manière plus expérimentale. En effet, les Nouveaux Réalistes s’intéressaient au côté matériel et physique de la consommation, en travaillant par exemple le détritus. Les objets du quotidien sont ainsi maltraités, transformés et recomposés. Ils insufflent aussi un message plus politique, avec des motivations antisystèmes et une critique virulente du capitalisme.

Explorons ensemble le pop art à la sauce française au travers de 5 artistes.

César (1921 – 1998)

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César, Compression « Ricard », 1962

Vous connaissez sûrement le fameux trophée qui récompense le cinéma français chaque année ? Cet artiste marseillais a conceptualisé la statuette compressée que l’on connait bien aujourd’hui en 1977. 

Outre le feu des projecteurs, César Baldaccini, plus connu sous le nom de César, a joué un rôle marquant dans le domaine de la sculpture française avec ses compressions. Ces sculptures sont d’abord nées d’un souci d’économie de moyens : ne pouvant pas se procurer les matériaux nobles de la sculpture, il fait la découverte en 1960 d’une presse hydraulique dans une casse de Gennevilliers, alors qu’il est à la recherche de matières à travailler. Fasciné par la violence de la machine, c’est là que débute son travail autour de la compression.

En réduisant une voiture, par exemple, il simplifie l’engin de la vie de tous les jours en un volume simple et presque pur. Les fragments apparents et restants sont comme des indices de l’ancienne vie du véhicule. Son travail, non sans humour, crée une transition entre l’industriel et l’artistique. César amenait ainsi une satire de la société de consommation et faisait d’un réel détritus une œuvre.

Voitures, vélos, cuillères, fourchettes, bijoux… y passent tous. L’artiste a développé sa propre technique appelée « compression dirigée », en sélectionnant chaque élément pour créer une véritable composition. Ici, l’œuvre Compression « Ricard » (1962) est une automobile dont le logo jaune et bleu et le « RD » survivants ne sont pas sans rappeler la fameuse marque de pastis marseillaise.

Niki de Saint Phalle (1930 – 2002)

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Niki de Saint Phalle, Tir, 1961

Les mains en l’air ! Artiste géniale, membre et égérie féminine des Nouveaux Réalistes, Niki de Saint Phalle personnifie parfaitement la rage féministe de la seconde moitié du XXème siècle. Trop souvent associée à son mari Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle a en réalité développé une œuvre forte, personnelle et totalement autodidacte.

Issue d’un milieu bourgeois, elle n’en est pas moins une artiste rebelle et engagée, dont la colère, qui nourrit sa force créatrice, prend ses racines dès l’enfance. Victime de l’inceste de son père, son art sera pour elle un exutoire thérapeutique et un moyen de s’exprimer, en créant des œuvres aux couleurs joyeuses aujourd’hui très célèbres, mais d’abord en prenant de gros risques créatifs.

L’artiste fait sensation sur la scène artistique internationale en débutant avec sa série de performance Les Tirs. Elle composait sur des planches des objets de la vie quotidienne et des poches de peintures, souvent recouverts d’une couche blanche, avant de charger… et bien sûr de tirer ! Les balles projetaient les pigments de manière aléatoire et violente. L’artiste se libère, et se dresse avec ses Tirs contre sa famille, son éducation et la gent masculine de manière générale.

L’œuvre fait parler d’elle et son caractère expérimental séduit les Nouveaux Réalistes. En plus de la dimension personnelle forte de la performance, Niki de Saint Phalle, en tirant sur des objets du quotidien, comme des jouets par exemple, saisit et s’attaque également à la consommation et à l’industrie : des valeurs chères au mouvement auquel elle s’associe en 1961.

Lire aussi notre article : 5 min pour découvrir Niki de Saint Phalle

Alain Jacquet (1939 – 2008)

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Alain Jacquet, Déjeuner sur l’herbe, 1964

D’abord étudiant en architecture, le français Alain Jacquet va succomber au monde de l’art grâce à la rencontre d’artistes américains. Il est notamment influencé par le mouvement Pop Art lors de son installation à New York dans les années 1960. Souvent rattaché au courant, il reprendra son vocabulaire esthétique et sa dimension critique et satirique. Jacquet incarne surtout un pionnier du courant Mec’ Art. 

Pierre Restany, déjà au cœur du Nouveau Réalisme, est aussi à l’initiative de ce terme. Le Mec’Art, abrégé de Mechanical Art, sublime et célèbre l’impression mécanique d’images. Il rassemble des artistes qui questionnent l’image photographique, la manipulent et explorent sa technique.

Jacquet s’intéresse ainsi aux strates de couleurs des photographies. Avec sa série des Camouflages, l’artiste utilise la technique de la sérigraphie pour jouer avec les motifs de points jaunes, bleus et rouges. En plus de sa technique, il teintait ses œuvres d’humour en détournant des pièces phares de la culture visuelle artistique française.

Par exemple, dans Le Déjeuner sur l’herbe (1964), Alain Jacquet revisite le chef-d’œuvre d’Édouard Manet. En faisant poser Pierre Restany, son épouse Jeannine de Goldschmidt (galeriste de renom), sa sœur Jacqueline Lafon (en arrière -plan) et Mario Schifano (peintre) autour d’une piscine, Alain Jacquet reproduit les postures mais modernise la composition de la célèbre toile du XIXème siècle. L’effet flouté rendu par la sérigraphie n’est pas sans rappeler le mouvement pointilliste ou encore l’effet comics des peintures de Roy Lichtenstein.

Martial Raysse (1936 – …)

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Martial Raysse, Made in Japan – La Grande Odalisque, 1964

Véritable monument de l’art contemporain français, Martial Raysse est également l’un des artistes les plus prolifiques et coté de ces 60 dernières années. Il est à la fois poète, sculpteur, peintre et travaille de nombreux médiums, de la peinture au plastique… un artiste polymorphe !

Les années 1960 en France riment avec société de consommation et publicité, un répertoire visuel riche dont l’artiste va énormément s’inspirer et dans lequel il va piocher. Il fait en effet à la fois partie des Nouveaux Réalistes et côtoie aussi de près les artistes Pop lors d’un séjour à New York.

Une de ses œuvres les plus connues, Made in Japan – La Grande Odalisque (1964), appartient à la première manière de l’artiste. Raysse détourne ici l’œuvre d’Ingres, tout d’abord en resserrant son cadre à partir d’une photographie. La composition pourrait presque rappeler les couvertures de magazines de mode. Puis il altère les couleurs à l’aérosol : il choisit un vert acide pour la peau, un fond rouge saturé et il retravaille le foulard de manière bariolée. Pour finir, il appose des bijoux de pacotille, des pompons frangés et une fausse mouche en haut de l’œuvre. La Grande Odalisque d’Ingres se standardise ainsi, presque comme une publicité, et devient une égérie pop des années 1960. 

Mais c’est surtout sa carrière, légèrement paradoxale, qui fait de lui une personnalité à la fois marquante et étonnante parmi les artistes français. Un changement s’opère drastiquement lorsqu’il participe aux manifestations étudiantes de mai 1968. L’artiste s’éloigne alors de toute motivation mercantile et de sa première période pop pour se tourner vers des œuvres à l’esthétique plus sinistre et moins chatoyante.

Jacques Villeglé (1926 – 2022)

Jacques_Villeglé_Les Présidentielles
Jacques Villeglé, 99, Rue du Temple, 19 mai 1974, 1974

Artiste ou colleur d’affiches ? Et pourquoi pas les deux ! Considéré comme le grand-père spirituel du street art contemporain, Jacques Villeglé est un artiste d’origine bretonne dont le travail autour de la récupération d’affiches a marqué l’histoire de l’art moderne.

Villeglé se caractérisait par une approche humble de l’art. Il questionnait le statut de l’artiste traditionnel en tant que professionnel, et ne donnait aucune prétention révolutionnaire à sa création. Il se positionnait notamment derrière ses œuvres de manière quasi-anonyme, et n’avait aucune vocation à être célèbre. L’artiste signait ses œuvres seulement lorsqu’elles étaient achetées, pour respecter les conventions du marché de l’art.

Co-fondateur du Nouveau Réalisme, il aimait décrocher des affiches placardées dans la rue ou dans le métro parisien. Villeglé – en sélectionnant chaque fragment, en les recadrant et en les marouflant sur toile – faisait bien acte d’artiste, mais il rappelait souvent que tout le monde pouvait en faire autant. Les couches de publicité se superposaient et apparaissaient sous chaque déchirures et dégâts causés par d’autres lacérateurs ou par la météo. Une pratique à première vue simple, mais qui relevait d’une réflexion toute particulière. 

Les artistes Pop s’intéressaient aux médias de masse pour leur valeur esthétique. En plus de se pencher sur leur rendu plastique, Villeglé, lui, a surtout pointé du doigt très tôt les méfaits de la communication visuelle qu’il associait à de la propagande. L’artiste s’adressait à nous, à notre mémoire visuelle et tentait de produire une œuvre populaire qui brossait un portrait de la société contemporaine accablée par l’imagerie publicitaire. Certaines de ses œuvres ont permis de mettre en exergue par exemple l’évolution de l’imagerie politique de François Mitterrand. De sa candidature aux présidentielles de 1965 à son élection en 1981, les mutations de la stratégie d’image de l’ex-président français apparaissaient clairement au travers des collages de l’artiste.


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Écrit par Emile Guyomard - Voir tous ses articles