L’histoire de l’art, c’est une histoire ponctuée de ruptures, de critiques, de censures. C’est grâce à des artistes qui ont bousculé les règles classiques, qui ont fait polémique, que l’art s’est construit. On s’attaque à ce salon des scandaleux, pour découvrir les plus grands scandales du monde de l’art !
Quand les corps nus font scandale : Déjeuner sur l’herbe et autres exemples
Voici quelques-unes des œuvres jugées les plus sulfureuses à leur époque, de la Renaissance à l’art contemporain.
Les nus scandaleux dans l’art classique
La Vénus d’Urbin, Titien (1538)
Voici une jeune femme étendue sur sa couche, nue, seulement parée de ses bijoux. Un léger sourire aux lèvres, elle nous fixe avec assurance. Une main tient un bouquet de fleurs, et l’autre semble couvrir de pudeur son sexe… à moins que ce ne soit une incitation à le contempler. C’est du jamais vu à l’époque ! Si bien que toute l’Europe se hâte pour l’admirer. Il s’agit là du premier d’une longue lignée de “nus couchés” qui susciteront de vives réactions.
Le Jugement dernier, Michel-Ange (1541)
Commande du pape Clément VII pour la chapelle Sixtine, le Jugement dernier a sans aucun doute reçu un accueil fracassant ! Au total figurent près de 400 personnages sur cette fresque monumentale, le Christ entouré de saints éminents. Les nudités des saints sont alors totalement exposées. Des fesses, des sexes, des seins qui ne manquent pas de faire trembler l’Église. Rapidement, ils recevront caleçons et culottes de la part de Daniele da Volterra, élève de Michel-Ange : des « voiles de jugement” qui leur rendront un peu de chasteté.
Les nus scandaleux dans l’art du 19e siècle
La Maja nue, Francisco de Goya (1800)
Connaissez-vous la Maja nue, ou bien sa version vêtue ? Et oui, la rumeur de l’existence de cette œuvre suffit à provoquer un scandale tel que Goya en peint une version censurée pour son commanditaire Manuel Godoy. Dissimulé dans un cabinet secret, le tableau donne à observer une femme bien réelle, dans une posture voluptueuse. La Maja a failli conduire son créateur tout droit au bûcher pour “obscénité” et a été confisquée à sa découverte par l’Inquisition. Cela ne l’empêchera pas pour autant de connaître une belle postérité, fascinant des générations d’artistes, comme vous pourrez le découvrir dans la revue DADA qui lui est consacrée.
Le Déjeuner sur l’herbe, Édouard Manet (1863)
Transformer un pique-nique en scène qui dérange et dépeint les mœurs contemporaines, c’est le pari de Manet. Il offre alors au public un déjeuner sur l’herbe parsemé d’indices qui nous transforme en voyeurs. L’œil est tout de suite capté par cette femme nue au regard intense installée auprès de deux hommes entièrement habillés, autour d’un repas achevé. L’œuvre est refusée au Salon officiel et pour la toute première fois en 1863, les peintures jugées trop peu académiques sont exposées dans un nouveau lieu : le Salon des Refusés. Ce déjeuner pas comme les autres créa une telle polémique que Manet devint immédiatement célèbre.
L’Origine du monde, Gustave Courbet (1866)
Tenu secret pendant plus d’un siècle, L’Origine du monde est certainement le nu qui a fait le plus parler de lui. Dès sa création, le tableau avait vocation à rester caché et vécu de beaux jours dans la collection d’œuvres érotiques du diplomate turc-égyptien Khalil-Bey. Cette représentation frontale de l’intimité féminine est alors parfaitement à sa place, admirée par une poignée de visiteurs d’exception. À peine rachetée par l’État français et exposée au Musée d’Orsay en 1995, elle fait polémique. La performeuse luxembourgeoise Deborah de Robertis n’hésite pas à entretenir son caractère sulfureux en exposant son propre sexe devant la toile ! L’œuvre semble bel et bien destinée à entraîner un bruit retentissant.
Les nus scandaleux dans l’art moderne
Les créations d’Egon Schiele
D’un érotisme décadent et tortueux, les œuvres de Schiele enchaînent les scandales. L’artiste autrichien s’est spécialisé dans des dessins érotiques dont l’audace ont provoqué la controverse. On les qualifie d’obscènes, de provocateurs, voire de pornographiques. Attaqué pour avoir heurté les conventions sociales et morales de son époque, Schiele est traîné devant les tribunaux avant d’être emprisonné pour avoir exposé des dessins jugés indécents à des mineurs. Malgré ce tourbillon de critiques, on reconnaît aujourd’hui la force de son art, et son génie est d’ailleurs mis à l’honneur dans un de nos DADA.
Princesse X, Constantin Brancusi (1915)
Princesse ou phallus ? C’est sur cette dualité que joue l’artiste en forgeant cette sculpture en bronze poli. Le caractère provocateur lui vaudra un refus d’exposition au Salon d’Antin puis au Salon des indépendants. S’agit-il d’un buste féminin ou d’un appareil génital masculin ? Le scandale peut s’expliquer par le fait que Brancusi souhaita que sa sculpture soit les deux, qu’ils soient indissociables, qu’il se fondent l’un dans l’autre.
Thérèse rêvant, Balthus (1939)
Il est possible que Thérèse rêvant soit l’œuvre ayant le plus troublé le public lors de sa présentation – à noter qu’il ne s’agit même pas d’un nu. Une jeune fille allongée sur un fauteuil, les jambes écartées, laissant entrevoir sa culotte. Son regard hypnotique et la composition suggestive de la scène ont choqué de nombreux observateurs. On accuse alors le peintre français de franchir les limites de la décence en sexualisant l’enfance. Une pétition recueillant près de 12 000 signatures dénonce son regard pédophile sur sa jeune modèle.
Dirty Corner, Anish Kapoor (2011)
Les mentalités changent-elles vraiment avec le temps ? C’est la question que l’on peut se poser quand une trompe géante en acier entourée d’un chaos de pierres a été dégradée à multiples reprises pour sa connotation sexuelle. En effet, Dirty Corner, la sculpture monumentale de l’artiste britannique d’origine indienne, a suscité une controverse dès son installation dans les jardins de Versailles. Elle reçoit rapidement le surnom de “Vagin de la Reine” sur les réseaux sociaux. Jets de peinture, messages royalistes et antisémites… elle aura vraiment tout vu !
Quand les artistes se moquent de la religion et des pouvoirs
Tout au long de l’histoire, l’art a servi à dénoncer et parfois même renverser les pouvoirs en place. Découvrons ensemble quelques-unes de ces œuvres.
Les œuvres accusées d’être des blasphèmes
La Mort de la Vierge, Caravage (1605)
Avec cette toile, pas de doute : la Vierge Marie est bel et bien morte. Une scène qu’il aurait fallu expliquer aux moines italiens de l’époque, qui avaient du mal à reconnaître là le personnage saint de la Bible. Son corps gît sur une couche, vêtue d’une simple robe rouge, les bras pendants, les pieds enflés… telle n’importe quelle mortelle. C’est ce réalisme cru qui estomaque l’église de Rome et la pousse à rejeter cette œuvre commandée à Caravage. Elle marque toutefois une réelle rupture avec l’art sacré traditionnel.
Piss Christ, Andres Serrano (1987)
Un crucifix immergé dans un verre rempli d’urine et de sang, parlons d’un scandale artistique ! Jugée blasphématoire, l’œuvre du photographe américain a connu de nombreuses vagues de vandalisme depuis sa diffusion, subissant notamment des coups de marteau lors de son exposition à Avignon. Les directeurs et conservateurs de musée ne sont pas en reste et reçoivent de nombreuses menaces de mort. L’artiste, lui, s’en tient à sa position et défend son œuvre comme étant une critique de “l’industrie milliardaire du Christ-des-bénéfices”.
La Nona Ora, Maurizio Cattelan (1999)
Le pape à terre, c’est ce que représente Maurizio Cattelan en passant par un style néo pop qu’il maîtrise bien. Présentée au public en 1999, l’œuvre représente le pape Jean-Paul II, terrassé par une météorite. Cattelan interroge à travers cette mise en scène plus que saisissante le pouvoir de la religion sur la mort et le système de peur qu’elle instaure. Les sarcasmes de l’artiste ne sont pas bien acceptés, à tel point que la directrice du musée polonais où l’œuvre a été exposée s’est sentie obligée de démissionner.
L’art pour dénoncer la monarchie et les pouvoirs politiques
Le Radeau de la Méduse, Théodore Géricault (1819)
Fasciné par la morbidité, Géricault transforma une catastrophe de l’histoire en une toile symbolique. En 1816, la frégate Méduse sombre au large de la Mauritanie, ne laissant que dix survivants. Avant d’être secourus par l’Argus, 150 naufragés entassés sur un radeau minuscule combattent la faim, la soif et la douleur. Cette toile divisa le public. Elle est perçue comme une critique de la monarchie et remet au jour un autre scandale : le capitaine royaliste du navire avait abandonné lâchement son équipage. Le choc se trouve aussi dans son mélange de néoclassicisme et de réalisme exacerbé. En effet, Delacroix ne fut pas le seul modèle de l’artiste qui s’inspira de véritables cadavres. De quoi vous glacer le sang !
Gargantua, Honoré Daumier (1831)
Gargantua n’est pas seulement le nom d’un roman de Rabelais. Il inspira le caricaturiste Honoré Daumier qui s’empara de ce personnage pour représenter le roi Louis-Philippe. Tête de poire, il dévore des hottes d’écus arrachés au peuple miséreux. Exposée dans la vitrine du journal La Caricature, elle entraîna la condamnation de son auteur pour “excitation à la haine et au mépris du gouvernement du roi, et offense à la personne du Roi”. Cette œuvre lui valut donc un séjour de six mois dans la prison Sainte-Pélagie… mais lui ouvrit aussi les portes de la célébrité.
Grand tableau antifasciste collectif, Jean-Jacques Lebel (1960)
Voici un magistral chaos de coups de peinture, de références historiques au centre duquel rayonne le Manifeste des 121, cet appel à la désobéissance et à l’indépendance de l’Algérie. C’est un réel cri que poussent Lebel et cinq de ces contemporains (Erró, Baj, Crippa, Dova et Recalcati) face aux horreurs fascistes. C’est brutal, c’est provoquant et c’est une œuvre qui mérite d’être vue. Lebel co-organise l’Anti-Procès, une exposition internationale pour laisser ces voix s’exprimer. Paris, Venise puis Milan. Elle ne tient que dix jours avant que les autorités italiennes s’emparent violemment des œuvres. Cet acte de censure outre les artistes qui ne pourront malheureusement les récupérer que des dizaines d’années plus tard et dans de piteux états. Après avoir été bringuebalée de musée en musée, cette œuvre contestataire puissante se repose et se laisse admirer au Musée d’Arts de Nantes.
Lorsque l’art se moque du marché de l’art
Merde d’artiste, Piero Manzoni (1961)
Finalement, les excréments valent bien de l’or ! En 1961, l’artiste italien Piero Manzoni décide de mettre ses excréments en conserve. 30 grammes par 30 grammes, les 90 boîtes hermétiques sont numérotées et signées. Ignorées au moment de leur création, les collectionneurs se les arrachent aujourd’hui. Ceci ne fait que confirmer l’intention de Manzoni de se moquer du marché de l’art et de ses initiés, prêts à payer des sommes astronomiques sans intérêt particulier pour la valeur intrinsèque de la pièce. En tout cas, ce pari fou est remporté par l’artiste dont la cote ne fait que s’envoler.
Love is in the bin, Banksy (2018)
1,2 million d’euros parti en fumée, du Banksy tout craché ! En 2018, la maison d’enchères Sotheby’s accueille à Londres le street-artiste britannique pour la vente d’une de ses œuvres les plus populaires, Girl with Balloon. À peine est-elle passée sous le marteau que l’œuvre se fait déchiqueter automatiquement par un mécanisme dissimulé dans son propre cadre, sous les yeux ébahis du public. Pour s’expliquer, l’artiste poste une vidéo de cette œuvre-performance sur son compte Instagram accompagnée d’une citation attribuée à Picasso : “quel plaisir que de détruire pour recommencer”.
« Ce n’est pas de l’art » : scandale dans l’Histoire de l’art contemporain
Trop bâclées, pas assez travaillées… c’est ce qui a pu être dit de ces œuvres qui sont pourtant aujourd’hui mondialement connues. Voici pourquoi.
De simples tâches de peinture sur la toile ?
Impression, soleil levant, Claude Monet (1874)
Celui pour qui des milliers de personnes se ruent à Giverny chaque printemps n’a pas toujours été aussi bien reçu qu’aujourd’hui. Monet fit grande impression et en choqua plus d’un lors de l’exposition de son œuvre en 1874. C’est avant tout la lumière, les reflets du soleil sur l’eau, l’enveloppe de fumée voilant les navires qui intéressent l’artiste. Il esquisse des touches de bleu, de violet, d’orange qui donnent un aspect flou au tableau. Le critique d’art Louis Leroy n’y va pas de mains mortes : “Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là” avant d’ajouter, “puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans”. Il ignore alors qu’il donna son nom à l’un des plus grands courants de la peinture.
À ne pas manquer : prenez le large, direction le musée des Impressionnistes à Giverny pour célébrer les 150 ans du mouvement avec l’exposition « L’Impressionnisme et la mer » !
Femme au chapeau, Henri Matisse (1905)
Comment une femme à la peau rugissante de couleurs devient presque une affaire d’État ? Eh bien il faut demander à Matisse et à ses amis, dits les Fauves. En 1905, leurs œuvres avant-gardistes scandalisent les critiques : “un pot de peinture jeté à la face du public”, “bariolages informes”, “brosses en délire” ou encore “mélange de cire à bouteille et de plumes de perroquet”. Cela va sans dire qu’ils n’ont pas été bien reçus. Face à ces esclandres, Émile Loubet, le président de la République, est prêt à annuler l’inauguration du Salon d’automne du Grand Palais. Mais un nouveau courant est né et il est prêt à user de toute couleur resplendissante pour se faire entendre !
Ne passez pas à côté de l’exposition « Matisse, L’Atelier rouge » à la Fondation Louis Vuitton !
Autumn Rhythm, Jackson Pollock (1950)
Une peinture réalisable par un enfant, c’est ce qui a été reproché à Pollock. En 1950, il dévoile sa toile Autumn Rhythm réalisée par drip painting. C’est bien cette technique de création, qui consiste à laisser goutter de la peinture, qui sera critiquée. Ces éclaboussures plutôt aléatoires aux teintes brunes, noires et blanches sont perçues comme un affront aux normes artistiques de l’époque. Mais n’est-ce pas là tout le but de l’art ? Les débats qui suivent sur le rôle de l’artiste et l’acte créatif ne feront en réalité qu’alimenter l’intérêt pour l’œuvre.
Sculptures-objets : peut-on parler d’art ?
Fontaine, Marcel Duchamp (1917)
Un objet du quotidien peut-il être de l’art ? C’est bien ce que pense Marcel Duchamp lorsqu’il achète un urinoir dans un grand magasin, le signe du nom “R.Mutt” et le présente comme son œuvre : Fontaine. Il décide de la proposer à la Société des artistes indépendants de New York en 1917, qui est censée être “sans prix ni jury”. Et pourtant, elle rejette l’œuvre, jugée comme un “objet vulgaire et immoral”. Immortalisée par le photographe Alfred Stieglitz, Duchamp fait pourtant naître le « ready-made », qui reçoit des réactions contrastées. Les détracteurs ne manquent pas, notamment l’artiste Pierre Pinoncelli qui dégrada l’œuvre en urinant dedans avant de lui porter un coup de marteau.
Brancusi contre les États-Unis (1927)
Lorsqu’il se rend aux États-Unis pour faire connaître son art par-delà l’Atlantique, le déchargement de ses œuvres est bloqué par les douaniers. Ils leur imposent des taxes à hauteur de 40% de leur valeur, comme de simples marchandises ! L’artiste est accablé, son art n’est pas considéré comme tel. Il se lance alors dans un procès gigantesque pour obtenir la reconnaissance qu’il mérite. Après un an de procédure, le juge donne enfin raison à l’artiste. Il s’agit d’une grande avancée pour cet art moderne et contemporain qui contourne toutes les règles établies.
Désormais respecté dans le monde entier, l’artiste est la vedette d’une nouvelle exposition au Centre Pompidou, et à retrouver dans DADA.
Jeff Koons au château de Versailles (2008)
Avant Anish Kapoor, Versailles a été investi par un autre artiste qui lui aussi a fait scandale : Jeff Koons et ses œuvres souvent qualifiées de “kitsch”. Réel cabinet de l’art sous Louis XIV, le public a été sidéré quand un homard et un chien géants, ainsi que quinze autres pièces, ont décoré les salons du château. Ce choc des styles classique et pop-art attira bien des curieux et fit grimper la cote de l’artiste de plusieurs niveaux.
Tree, Paul McCarthy (2014)
La Place Vendôme se pare chaque année de décoration de Noël, toutefois plus d’un furent stupéfaits lorsqu’une sculpture gonflable éphémère censée représenter un sapin prit une apparence plutôt phallique. De 24 mètres de haut, l’oeuvre équivoque de Paul McCarthy, installée à l’occasion de la FIAC de 2014, rappelle surtout un plug anal. Accusée de défigurer la capitale sur les réseaux sociaux et vandalisée, Tree n’est restée que deux jours sur place !
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