L’impressionnisme, l’histoire du succès en 5 étapes

berthe morisot impressionnisme

Depuis le début du 20e siècle, on considère l’impressionnisme comme le tournant révolutionnaire vers la modernité artistique. Aujourd’hui adulées dans le monde entier, ces peintures généralement réalisées sur le motif, en pleine nature, n’ont pas toujours fait l’unanimité. En cause : leur aspect non fini (surtout aux yeux de leurs contemporains), leurs thématiques trop modernes, mais aussi les personnalités qui composaient le mouvement artistique, souvent jugées – voire revendiquées – anarchistes.

Comment ce style marginal et décrié il y a tout juste 150 ans, est-il devenu la star du marché de l’art moderne et de l’histoire de l’art ? Découvrez l’histoire d’une success story, synthétisée en 5 étapes clés.

Barbizon : une colonie d’artistes du paysage

En 1830, Barbizon est un petit village près de la forêt de Fontainebleau, en région parisienne. Jusque dans les années 1870, il est le lieu dédié d’une des premières colonies artistiques en France. Parmi ses têtes d’affiche, on compte les peintres Jean-François Millet, Camille Corot, Théodore Rousseau ou encore Charles-François Daubigny. Leur point commun ? Ils font de la nature, et plus largement du paysage, le cœur de leur art.

Les jeunes artistes de Barbizon sont parmi les premiers, au 19e siècle, à afficher un esprit de révolte. Face aux dogmes académiques, d’abord : avec eux, le paysage n’est plus l’arrière-plan d’une prestigieuse scène d’histoire, mais une œuvre en lui-même. Face à la montée en puissance de la bourgeoisie, notamment sous le nouvel Empire, ensuite : ils s’attellent à peindre le « prolétariat », privilégiant dans leurs représentations les travailleurs et la vie rurale.

Mais ce sont, aussi et surtout, des amoureux de la nature luxuriante de la forêt, qu’ils peignent tel qu’ils la voient, sans la magnifier comme il en était coutume dans l’art classique. Farouchement engagés dans leur démarche, ils font entrer la peinture de paysage dans les Salons officiels, et lui donnent ses premières lettres de noblesse. Dès 1863, certains artistes qui constitueront les futurs impressionnistes se rendent sur place pour eux-mêmes réaliser des peintures, notamment Monet qui y peindra notamment un Déjeuner sur l’herbe (1865). 20 ans plus tard, sous l’impulsion du même artiste, une colonie similaire se formera à Giverny, en Normandie.

Du salon des refusés à l’avènement des « impressionnistes »

L’année 1863 marque la première protestation des artistes contre la mainmise de l’État sur la création, avec l’installation, par le gouvernement napoléonien en réponse aux plaintes reçues, du Salon des refusés. « L’impressionnisme » n’existe pas encore, mais les peintres qui porteront les premiers ce mouvement y exposent déjà, comme Édouard Manet et Camille Pissarro.

On y retrouve en fait tous les artistes dont les œuvres n’ont pas réussi à passer les filets du jury du Salon officiel, souvent jugées non académiques selon les critères très spécifiques de l’époque. Et, contre toute attente, ce salon annexe rencontre un franc succès auprès du public, malgré des critiques parfois acerbes – notamment sur Le déjeuner sur l’herbe de Manet. Mais la véritable réussite de cette entreprise fut d’ouvrir, finalement, les portes du Salon officiel à tous ces artistes jusqu’alors mis de côté.

Lire aussi notre article : Les grands scandales de l’histoire de l’art

C’est d’ailleurs dans ces rencontres annuelles que les plus célèbres figures de l’impressionnisme – Berthe Morisot, Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, etc. – commenceront à se faire un nom, et à se regrouper autour de considérations picturales similaires. Ce n’est que le 15 avril 1874, réunis dans la « Société anonyme des artistes », qu’ils proposent leur première exposition collective, en marge du Salon officiel.

Ouverte à tous sous seule condition de souscrire à la société, elle avait pour objectif de s’affranchir complètement de quelconques attentes académiques, tant au niveau de la création que du public. Cela se traduit par une absence de jury, et des horaires d’ouverture assez larges pour accueillir toutes les classes sociales (et notamment ouvrières, le soir). L’exposition reçoit même les éloges des critiques, mais c’est assez curieusement un article négatif qui finit de l’inscrire dans l’histoire : « L’exposition des impressionnistes » signé par le critique d’art Louis Leroy dans Le Charivari. Elle devient, dans les annales, la première exposition impressionniste.

Les galeries Durand-Ruel et les œuvres impressionnistes en Angleterre et aux États-Unis

En 1870, de nombreux artistes fuient la guerre franco-allemande et se réfugient en Angleterre. Ainsi s’installe un important réseau franco-anglais d’amateurs, collectionneurs et commerçants d’art. À ce moment-là, la scène artistique britannique, riche d’innovations picturales (comme les préraphaélites, le mouvement Arts & Crafts et les œuvres vaporeuses de William Turner), accueille également à bras ouverts ces artistes en exil, dont font partie Monet et Pissarro. Comme leurs contemporains anglais, ils tournent leurs pinceaux vers le nouveau monde qui les entoure.

C’est aussi là qu’ils rencontrent le galeriste Paul Durand-Ruel, également en exil, avec qui ils nouent une relation étroite et qui s’avèrera fructueuse. S’il permet aux deux artistes de survivre pendant cette rude période en vendant leurs œuvres sur le marché anglais, il deviendra également un des premiers et sûrement le plus fervent défenseur de l’impressionnisme, à Paris. Grâce à son génie commercial, leurs œuvres s’étendront jusqu’au marché américain. Après avoir tâté le terrain grâce à une série de ventes aux enchères à partir des années 1880, il y ouvre une première succursale en 1888, à New York.

D’un côté à l’autre de l’Atlantique, le public anglo-saxon semble particulièrement réceptif à la vague impressionniste. Pour preuve, deux artistes majeurs associés au mouvement, Whistler et Mary Cassatt, étaient américains, tandis qu’Alfred Sisley, bien qu’ayant grandi en France, était de nationalité anglaise.

L’entrée de l’impressionnisme dans les collections muséales

Si c’est bien le legs de la riche collection de Gustave Caillebotte aux musées nationaux, en 1894, qui permit à l’impressionnisme d’entrer dans les collections nationales, cela ne se fit pas en toute souplesse. Le donateur, qui avait anticipé la résistance des têtes fortes des institutions, avait même dû préciser que les tableaux ne devraient ni aller « dans un grenier, ni dans un musée de province, mais bel et bien au Luxembourg et plus tard au Louvre ».

Après moult discussions et dissensions, seulement 38 des 68 œuvres données intègrent le Luxembourg l’année suivante, les autres étant retournées à l’héritier principal. Puis, en 1907, l’Olympia de Manet, conservée jusqu’alors au musée du Luxembourg, rejoint les collections du Louvre, véritable consécration pour cette œuvre longtemps critiquée. Effet domino : des musées du monde entier se mettent alors à acheter des tableaux impressionnistes.

Les 20 années qui suivent voient leurs œuvres se répandre sur le marché de l’art, avec des présentations et ventes dans de nombreuses galeries du monde entier, divers prix distribués aux peintres impressionnistes (comme la médaille d’or de l’Academy of Fine Arts de Pittsburgh offerte à Mary Cassatt), et la récurrence dans les Expositions universelles.

Mais ce n’est qu’en 1922 qu’a lieu la première rétrospective muséale, « Les maîtres de l’impressionnisme et leur temps » aux Musées royaux de Bruxelles. À la fin des années 1920, alors que le noyau initial d’artistes s’éteint peu à peu, musées et collectionneurs s’arrachent leurs créations. Depuis les années 1930, les grandes rétrospectives ont le vent en poupe, qu’elles soient monographiques ou collectives. En 2024, à l’initiative du Musée d’Orsay et pour célébrer les 150 ans du mouvement, plus d’une dizaine d’expositions ont été proposées en France !

Post-impressionnisme, néo-impressionnisme… : héritages de l’impressionnisme dans l’art

Si 1886 est l’année officielle de la dernière « exposition impressionniste », elle est loin de marquer la fin du mouvement pictural. On peut évoquer en premier la génération qui lui succède immédiatement, dont fait partie par exemple le fils de Camille Pissarro, Lucien, ainsi que ses amis Paul Signac et Georges Seurat, ou encore Edgar Degas. Non seulement participent-ils à cette rencontre finale, qu’ils continuent et approfondissent les recherches sur le traitement de la lumière. À ce groupe hétéroclite et bien moins unifié que son prédécesseur, on associera plusieurs dénominations : néo-impressionnisme, chromoluminarisme ou encore pointillisme. Leurs œuvres marqueront une transition vers la modernité affirmée, influençant directement des artistes de l’avant-garde tels que André Derain et Henri Matisse.

On parle aussi de post-impressionnisme. Période plus que mouvement, elle englobe les deux décennies qui suivent, et l’ouverture esthétique permise par l’impressionnisme. Celle des aplats lumineux de Paul Cézanne, des touches vibrantes de Vincent Van Gogh mais aussi de l’essor des arts décoratifs, avec par exemple les affiches langoureuses d’un Jules Chéret ou d’un Toulouse-Lautrec.

On doit aussi à l’impressionnisme, en grande partie, le développement du japonisme : une vision idéalisée des arts japonais, notamment grâce à l’import massive des estampes dites « ukiyo-e » dans la seconde partie du 19e siècle. Elles ont énormément inspiré les impressionnistes, dans leur esthétique, leurs sujets et leur traitement des couleurs, puis les postimpressionnistes et les avant-gardes. Les estampes japonaises restent aujourd’hui une grande source d’inspiration pour les artistes contemporains, comme le montre par exemple l’exposition « Rêves de Japon » tenue à l’Atelier Grognard de Rueil-Malmaison, et bien d’autres chaque année.


Vous souhaitez en savoir plus sur l’impressionnisme, ses principes et ses artistes ?

Écrit par Pauline ILLA - Voir tous ses articles